Tournée des Journées du patrimoine 2013

Entrevue avec Louis Mercier

SHS : Bonjour Louis Mercier! Parlez-moi un peu de votre travail!

LM : heh bien… Je suis voyageur! Je suis engagé par la Compagnie du Nord-Ouest! Pas la Compagnie de la Baie-d'Hudson, non! Eux, on ne les aime pas, ce sont nos rivaux et ils nous font la guerre. Non, la Compagnie du Nord-Ouest! Mon travail c'est d'aller chercher des fourrures chez les Indiens du Nord, ceux qui vivent dans l'Athabasca, et de les ramener à Fort William, sur le lac Supérieur. À partir de là, il y a une autre équipe de mangeurs de lard qui va prendre mes fourrures pour les amener à Montréal et les envoyer ensuite en Europe. Paraît qu'ils font des chapeaux de feutre avec la fourrure.

SHS : Des… mangeurs de lard?
LM : Oui! Des mangeurs de lard! Ceux qui font le trajet entre Montréal et le Lac Supérieur, leur voyage est court et ils peuvent se permettre de manger des pois, de la galette et du lard durant leur voyage. Nous, les hommes du Nord, on est des VRAIS! On mange du pemmican, et pis des fois, on achète de la viande d'orignal ou du sucre d'érable aux Indiens.

SHS : Et vous vous déplacez comment?

LM : En canot, bien sûr! Les mangeurs de lard utilisent des canots du maître, qui sont plus gros. Nous on utilise le canot du nord, qui est plus petit, mais plus faciles à diriger. Un vrai p'tit tape-cul, j'vous dis!

SHS : De quoi sont faits vos canots?

LM : En écorce de bouleau! Comme les canots Indiens! C'est très fragile par contre, dès que ton canot touche le fond ou que tu accroches une roche… Bam! Brisé! Mais c'est correct, on a toujours un rouleau d'écorce, du watap et de la résine pour réparer tout ça!

SHS : Du Watap?

LM : Le watap, c'est une racine fibreuse qui nous sert de fil pour coudre les morceaux d'écorce ensemble sur le canot. La résine, elle, elle sert de colle et d'imperméabilisant. Quand on finit notre journée, on doit souvent réparer le canot! Y en a qui sont pas contents, ils aimeraient mieux aller se coucher directement, mais bon… c'est ça la vie de voyageur!

SHS : Comment se passent vos journées?

LM : D'abord, je lève mes hommes! Moi je suis guide, ou chef de brigade. Je dirige une équipe de voyageurs. Alors je les réveille avant le levé du soleil, vers 3h du matin. Vers 2h, si on est en retard, vers 5h si on a de l'avance. À cette heure-là, ils sont durs à réveiller, faut leur crier après un peu, pis les traiter de paresseux. Y en a même un que j'ai dû arroser parce qu'il voulait pas se lever.

SHS : Et ensuite? Vous mangez?

LM : Non! Une fois qu'ils sont deboutte, on ramasse nos affaires pis on rembarque dans le canot! Le matin, y a pas beaucoup de vent, alors c'est souvent le meilleur moment pour avancer. On prend une pause toutes les heures pour fumer la pipe, on appelle ça la pipée. Mes gars sont ben grognons s'ils fument pas, et puis ça permet de se reposer.

SHS : Vous ne mangez pas?

LM : ha ben oui! Manger, c'est ben la seule affaire agréable durant notre journée! Alors on s'arrête vers 8h00 pour prendre notre premier repas de la journée. Qu'est-ce qu'on mange? Du pemmican! Encore!

SHS : Qu'est-ce que c'est du pemmican?

LM : D'la viande de bison séchée et fumée, coulée dans du gras de bison, avec des fruits séchés. Chacun en mange une livre et demi par jour. C'est raide comme d'la semelle de souliers de bœuf, mais ça se garde longtemps et ça donne de l'énergie. Le soir, on fait une espèce de bouillie avec ça et ça cuit toute la nuit. On appelle ça du rubbaboo! C'est prêt le lendemain matin, mais on ne le mange que le soir, on le réchauffe avant d'aller se coucher. C'est quand même bon d'avoir un repas chaud à la fin de sa journée, après 15h de canot!

SHS : 15h de canot? Wow! Et où dormez-vous?

LM : sous les canots! Meilleur abri contre le vent et la pluie! Mais tous mes hommes ne logent pas sous le canot, alors on tend une grosse toile de laine graissée, pour se protéger un peu de la pluie. On dort la tête sous le canot et le corps sous la toile.

SHS : et l'hiver?

LM : l'hiver, on ne peut plus voyager, les rivières sont gelées, haha! C'est pour ça qu'il faut se dépêcher d'arriver au fort avant de se faire prendre par la glace!

SHS : Vous passez l'hiver au fort?

LM : Certains passent l'hiver au fort, mais moi je vais en dérouine.

SHS : Et comment cela se passe-t-il au fort?

LM : heh bien on a un beau lit de paille dans une cabane. Faut changer sa paille une fois de temps en temps, pour se débarrasser des rats et des poux. Chaque voyageur du fort doit faire des corvées, comme aller chercher du bois, aider à réparer un bâtiment… Mais on engage aussi des indiennes pour nous aider à faire la cuisine, à réparer les canots, à chasser, à pêcher, à tanner les peaux... Et pis on doit faire ce que le bourgeois nous demande. Le Bourgeois, ça c'est notre patron, il a une belle grosse maison dans notre fort. J'ai vu des forts où le bourgeois parlait même pas français! Vous savez, la Compagnie du Nord-Ouest, ça appartient à un écossais!

SHS : Et en dérouine?

LM : ça, c'est généralement pour les chanceux comme moi qui se sont trouvé une p'tite femme chez les Indiens. On s'en va vivre chez eux, à leur manière. Il y a beaucoup d'avantages, vous savez! Leurs maisons sont plus chaudes, ils dorment dans des belles peaux de bison, la nourriture est meilleure, et surtout… On peut dormir avec notre bien-aimée! L'hiver, c'est le seul moment de l'année où je peux voir ma femme, j'vais quand même pas aller dormir avec les autres voyageurs!

SHS : c'est votre femme? Vous vous êtes mariés?

LM : Bien sûr! À la façon du pays! Pas de prêtre, pas d'église! Je lui ai promis de lui être fidèle et de revenir la voir tous les hivers… tant qu'elle voudra bien de moi, haha! Quand je vais être devenu trop vieux pour travailler pour la Compagnie du Nord-Ouest, je vais aller m'installer avec elle. Je vais pas faire comme ceux qui partent, qui ne reviennent jamais et qui laissent leur femme toute seule avec les enfants! Ou pire, comme ceux qui ont une femme à Montréal et une femme dans les Pays-d'en-Haut! Il y a même l'histoire de Lagimodière, qui avait une femme indienne et un enfant. Il est retourné vivre à Maskinongé, au Québec. Vous savez ce qu'il a fait? Il a marié une autre femme là-bas, Anne-Marie, et il l'a ramenée au Pays-d'en-Haut! Ça a tellement fait de peine à sa première femme! Moi je suis pas comme ça! J'ai une femme et j'en veux pas d'autre!

SHS : Merci Louis Mercier, d'avoir répondu à nos questions!

Questionnaire


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